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Alors Carcasse est une épopée contemporaine mettant en scène un héros fragile et obstiné qui se tient au seuil de son époque et voudrait participer au monde mais peine à trouver le chemin, en lui-même et dans sa relation aux autres.
Le récit de Mariette Navarro ne laisse pas en paix, bousculant sans cesse les échelles de notre perception. Il nous saisit – tantôt Carcasse, tantôt Plusieurs – au plus près de notre désir d’émancipation héroïque, de nos empêchements, de la beauté de nos envolées.
Sur scène, ils sont cinq – comédiens, comédiennes, marionnettistes et un peu clowns – plongé.es à l’intérieur du corps de Carcasse. Aux prises avec de nombreuses tiges en bois (de celles qui servent à animer des marionnettes) – ils donnent corps à cette carcasse dans un geste sauvage et poétique, faisant écho à notre fragilité autant qu’à la brutalité du monde.

UN POÈME

Alors Carcasse est un texte écrit en 2011 par Mariette Navarro, édité dans la collection Grands Fonds de Cheyne Editeur. Il a reçu le prix Robert Walser en 2012. C’est un poème en prose de 62 strophes, organisées en trois parties. Le nom du personnage y apparaît trois cent une fois (301) faisant de Carcasse le personnage central incontesté. Mais “Plusieurs aussi sont là”.
Une des grandes qualités de ce texte c’est sa continuité, qui est pour moi une forme de résistance à l’ère du fragment et du surmontage. Comme un long plan fixe en perpétuelle transformation et recomposition, il invite le spectateur à se créer son propre chemin dans Carcasse, à se rendre attentif aux moindres détails de l’évolutions de ses états.

REPRESENTER SANS INCARNER

Le désir de monter Alors Carcasse prend sa source dans la rencontre avec la langue singulière que Mariette Navarro déploie avec radicalité et douceur. Cette découverte m’a ramenée à mes premières amours de poésie qui m’avaient conduite en 2004 à monter Va où- ce qui m’arrive à tout le monde, le recueil d’une autre poétesse, Valérie Rouzeau.

Cette expérience fondatrice m’avait passionnée car le poème porte avec lui une question fondamentale de la représentation qui est celle de l’incarnation. Faut-il incarner le poème, et comment ?
Le poème inquiète la scène et nous oblige à chercher ailleurs, autrement, à nous déplacer.
Carcasse n’est pas “un personnage”, c’est plutôt une figure, un corps fictif, un être symbolique, et il serait vain de vouloir l’incarner. Carcasse est une belle enigme pour quelqu’un comme moi dont le langage scénique est profondément ancré dans la marionnette.

Aux cotés de Carcasse siègent Plusieurs, autre figure immatérielle qui entoure le « héros », tout comme les marionnettistes autour d’une marionnette. A la manière des acteurs du théâtre de marionette japonais, les cinq interprètes traversent le texte sans jamais chercher à incarner un personnage, ou seulement de manière fugace. Ils portent Carcasse et Plusieurs, les font et les défont, les tiennent et les lâchent. Ils font communauté pour, communauté contre, mais ne les incarnent pas et laissent la parole libre.
Tout est convention et appel à l’imaginaire, le spectateur est mis en permanence dans la position organique de compléter, prolonger, éclairer la scène.

ACTIVER LES LIENS

Ensuite vient la fascination pour son personage central, héros immobile posant le plus simple et le plus puissant des actes : s’arrêter. Ne plus participer au flux, tenter de se construire hors des injonctions du monde. Cet acte simple crée un évènement très fort dans la relation aux autres, il fait trembler le lien qui unit les hommes dans une forme de civilité très intégrée et normative.
En mettant en jeu une abondante série de tiges en bois manufacturées, j’ai cherché à ouvrir un champ poétique autour du seuil et de la limite mais aussi à matérialiser ce lien organique qui unit les uns aux autres comme le marionnettiste à sa marionnette ou l’acteur au spectateur. C’est ce lien que nous tentons d’activer. Et toutes ces lignes animées finiraient par former une grande Carcasse, qui serait autant un être qu’une montagne, une grande marionnette, qu’un décor, un sentiment, une vision intérieure, une image fugace de Carcasse.