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CARNET DE MISE EN SCÈNE

Les échecs au théâtre ne sont pas de vrais échecs.

Le jeu ne commence pas dans nos têtes mais dans nos pieds. Le jeu c’est notre marche.

               « Je suis devenu danseur parce que j’ai eu un accident et parce que je ne voulais pas être soldat ». 

Plus la scénographie est audacieuse, plus l’espace scénique tend à devenir abstrait, symbolique, pure aire de jeu. C’est au costume d’orienter la lecture du spectateur.

                        Le comédien est là pour consoler ou guérir le personnage. 

Je me regardais dans tes yeux / et pensais à ton âme.

                                                                                                           D’une façon ou d’une autre il faut prendre des risques, essayer à chaque fois de sortir de ses zones de confort, dépasser ses préjugés et désamorcer la peur qu’on a laissé se répandre en soi ou chez les autres. 

Il y a des moments où il faut le courage du vide ... il faut se laisser aller jusqu’à l’extrême, se laisser conduire par l’autre. Je dis : « vis, reçois, laisse-toi faire », « laisse-venir », « ne pousse pas ». Je ne dis pas souvent « sois ».
Le don de l’acteur c’est d’y croire. Ce don extraordinaire c’est la crédulité. Muscle ta crédulité. La crédulité c’est de croire à l’incroyable.

 Quand un acteur se demande ce qu’il doit faire, il rejette déjà toute nourriture extérieure. 

                                                              L’acteur a une double responsabilité, recevoir, et essayer de transmettre. 

Le metteur en scène accomplit à la fois un travail intellectuel, artistique et pratique.

Le rythme est une alternance du rapide et du lent, un fragile équilibre entre les deux.

                                   Le rôle du metteur en scène est d’installer un dispositif d’expérimentation comme                 dans un laboratoire. Il rassemble les différents ingrédients, la situation, le                     texte, l’espace, les partenaires, les costumes, la musique, la lumière...et il                     observe les interactions. 

Je répète chaque scène comme un fragment,
donc indépendamment les uns des autres.
À la fin on revient à l’ordre et on fait un collage.
Cela donne plus d’aspérité à la représentation.
Il n’y a pas besoin de tout jouer dans une scène.
Un jeu trop plein peut nuire à ce qui vient après.

                                                                                                 Je ne balise pas à l’avance un chemin. J’erre avec tout le monde pour trouver ce chemin. Un metteur en scène trouve les idées avec les autres, il doit rendre toute son équipe co-metteur en scène. 

Si les acteurs sur scène ne savent pas ce qui va se passer l’instant d’après, alors le spectateur devient de plus en plus attentif.
Le jeu de l’acteur provient tout entier du jeu de son partenaire. La source de créativité c’est l’autre. Le risque est de devenir très vite obsédé par soi- même...regarde l’autre, écoute –le, il t’ouvrira un royaume de possibilités.

Le jeu ne se situe pas du côté de l’un ou de l’autre des acteurs, mais entre eux, au milieu.

                                                                                                    Who’s there ?
                                                                                                    Qui est là ?
                                                                                                    Qui est la personne devant nous ?                                                                  Qui est l’autre ?                                                                                  Qui nous parle ?                                                                                  Qui sommes-nous ?                                                                                  Qu’est-ce qu’un être humain ?                                                                      Cette incertitude de l’identité et de la conception d’un 
                                                                                                      « moi » est très certainement l’un des problèmes essentiels                                        de l’homme moderne. 

La force motrice des personnages dans les pièces de Shakespeare est précisément de découvrir qui sont les autres, ce qui se cache derrière leur apparence physique, quels sont leurs véritables motifs...heureusement Shakespeare n’a pas de réponse mais une multitude de questions.

          L’homme est en souffrance s’il n’arrive pas à se laisser transporter par ses rêves où à se       mentir à soi-même. Le noyau du réalisme est la tragédie de la vie ordinaire. C’est un grand art que de prêter un langage à la vie quotidienne. 

Le metteur en scène doit savoir regarder... regarder en étant concentré et sans à priori.

                                                                                                      Il faut beaucoup laisser faire, regarder. Le travail, c’est surtout savoir capter ce qui a envie de se faire. 

Le théâtre se sont des corps, le théâtre c’est l’art des corps, c’est d’abord l’art du corps.

On demanda à un ordinateur un jour : « Qu’est-ce que la vérité ? ». Il fallut attendre un long moment avant qu’il ne répondît : « Je vais vous raconter une histoire... »

Il existe une certaine force,
une certaine qualité que nul d’ente nous ne peut voir,
que nul ne peut définir,
et qui pourtant a la capacité d’apporter une vraie liberté : Shakespeare l’appelle « The quality of mercy »,
la qualité du pardon.
Et lorsque quelqu’un essaie de définir précisément ce dont il s’agit avec des arguments ordinaires,
il s’éloigne d’un pas d’une autre possibilité de compréhension.

Arriver à être absolument disponible. Pas vierge mais disponible, c’est autre chose. Et pas docile, non plus. Disponible.
Dans la construction de nous-même, c'est une façon de s'en remettre à l'autre pour prendre forme.
Le poète écrit délibérément non pour emprisonner un sens mais pour ouvrir un mystère brûlant.
L’écoute des autres, un contact de plus en plus étroit avec le partenaire, les improvisations, et enfin, la présence du public, sont les outils qui aiguisent la sensibilité naturelle de l’acteur. C’est une méthode sans méthode.
Antoine Vitez attribuait le ralentissement du jeu dans le théâtre contemporain à la volonté de mettre en scène l’inconscient du texte.
Derrière une mauvaise idée, une bonne idée attend de se montrer.
Vouloir mettre ne place un système parfait tout en sachant qu’on est soi-même absolument imparfait, il n’existe pas de description plus précise de la condition humaine.
Brook conseille de se laisser conduire par la déraison de son « fou », celui qui va plus loin que lui, à savoir le comédien.
À la construction de Sarcelles, on a découvert que les gens de la ville ne se regardaient pas, alors on a mis des chicanes pour les forcer à sa tourner, à se regarder. C’est ça que j’essaie de faire dans mes spectacles. Poser des chicanes.
Dans la qualité de présence, Wilson recherche la parfaite maîtrise du corps et la conscience aigüe de l’effet produit dans l’espace.
Correctement lever ou baisser un doigt, un simple doigt, et il concentrera sur lui l’attention du public.
Le corps est à la fois sculpture et sculpteur de l’espace, ligne et crayon qui trace des lignes, lieu d’une mémoire musculaire et instrument de perception. Il faut voir et entendre avec le corps, écouter de l’intérieur pour mieux approcher la forme extérieure et dire le texte simplement, comme si on ne le comprenait pas, sans chercher à en interpréter le sens, sans souligner la violence des mots par l’emphase de la diction.
« Sterben » indique un mouvement vers ce qui n’est pas là. Cela exige un grand effort mais tu ne peux pas dire ce qu’est la chose, tu peux en éprouver seulement le besoin. Et lorsque tu la touches, tu as le sentiment qu’autre chose, plus loin, se profile, et te pousse à continuer. Il faut sans cesse se diriger vers.
Je suis un spectateur devenu metteur en scène pour mieux comprendre le théâtre, l’univers du théâtre, moi-même et l’être humain.
L’écriture n’est pas obligée de délivrer un message. Elle n’est obligée de rien. Elle doit avant tout être libre.
Les mots servent à libérer une matière silencieuse qui est bien plus vaste que les mots.
On n’entend pas de la même manière une parole qui vient après un temps de silence.
Le silence qui suit la fin d’une phrase et une caisse de résonnance où peuvent s’entendre les échos non écrits de ce qui est écrit.
Il y a un troisième silence : arriver à parler sans oblitérer le silence, faire le bruit des mots en faisant en même temps entendre du silence, comme la musique laisse percevoir du silence.
Le silence est une catégorie de langage, ce n’est pas un arrêt du langage.
Il y a un très grand rapport entre l’ombre et le silence. Si on éclaire moins l’acteur on laisse beaucoup plus de liberté à l’imaginaire des spectateurs. Le plus important n’est pas de voir un acteur en train de travailler, c’est de voir ce que le texte libère.
J’entretiens une tension entre l’ombre et la lumière. J’expérimente les tensions qui existent entre les contraires. Ça permet de découvrir des territoires insoupçonnés.
Mettre les acteurs dans un état d’écoute, de passivité, faire le vide.
Ne cherche pas dans toi, cherche dans l’autre.
Le jeu de face cultive l’isolement, il nie la socialité du plateau. Le protagoniste l’emporte sur la communauté.
Il faut des acteurs interprètes de leurs personnages et tout à la fois présents en tant qu’êtres.
J’ai acquis une grande fascination pour les personnalités fortes sur scène. C’est moi qui doit les suivre. Suivre leurs instincts, leurs impulsions, leurs intérêts. Ce qui m’intéresse le plus c’est l’art du moment. Je rêve de retrouver la vérité du moment sur scène. L’art de l’instant.
Laisser toujours les choses respirer. Respiration entre l’être et le vide. Ne pas fermer le couvercle.
En bougeant, on modifie le vide. En parlant, on modifie le silence. Attendre que chaque parole, chaque mouvement soit essentiel.
Je n’aime pas qu’on dise qu’un acteur à l’air d’inventer le texte. Il joue le texte d’un autre. Il ne le comprend sans doute pas entièrement. Et doit laisser aux spectateurs le loisir de le comprendre différemment. C’est la situation qui est primordiale.
Le théâtre c’est l’art du conflit.
L’idée de Meyerhold tient au fait de trouver pour l’acteur un objet sur lequel se concentrer : il faut que je fasse ceci, puis un pas vers là, puis je m’assois... lorsque l’acteur est concentré sur les actions, il oublie la peur.
La narration filmique, le montage et l’ellipse doivent se radicaliser encore plus pour le théâtre. Par exemple à travers une dramaturgie arbitraire de revirements tout à fait inattendus, dans une succession rapide d’apparitions et de disparitions, de personnages sans (pré) histoire, qui ne s’expliquent pas...le maximum d’actions et puis un moment de calme, ou une histoire réaliste peut devenir magique, quand elle tourne dans une allégresse métaphysique.
Comment un corps évolue dans l’espace, comment un corps approche un autre, comment les gens se serrent la main, comment ils se parlent sans se regarder, comment ils essaient de jouer une vie « heureuse » ... on est devant un laboratoire humain sans drame et ça peut être très excitant.
Sur scène, plus on communique, plus on est en déficit de présence.
Le plus important c’est de se sentir libre de part et d’autre pour vivre la répétition comme une expérience qui peut prendre toutes sortes de directions. Accompagner un acteur, ce n’est pas le diriger au doigt et à la baguette, c’est se rendre présent à ce qui se met en jeu chez lui.
J’aime me laisser surprendre sans penser au résultat et observer les changements et les évolutions que le jeu impulse. Et à partir de là, relancer l’acteur, lui donner des appuis pour continuer à avancer. C’est une recherche qu’il faut continuer le plus longtemps possible.
Ce qu’il faut obtenir, c’est que le comédien ne sache pas ce que pense le personnage et qu’il le découvre, mais même pas en répétition, qu’il le découvre en le faisant, qu’il le découvre quand les mots sortent.
Intrasubjectivité : relation du personnage avec la part inconnue de lui-même.
Le théâtre d’Ibsen conduit ses personnages de leur affrontement avec leurs proches, leur entourage, la société, jusqu’à leur déchirement intime. Cela se fait à la faveur d’une émergence des pensées inconscientes.
Le seul salut que puisse espérer les personnages c’est une miraculeuse renaissance « un réveil d’entre les morts » à la fois intime et cosmique, un revivre éclatant.
Au-delà de l’acte de la représentation, le théâtre est un rapport entre deux corps, c’est ce qu’il y a au milieu, dans cet interstice fabriqué par la rencontre
Lorsqu’on aime trop un sujet on a aucune chance. Il faut une distance, une distance productive. Une résistance par rapport au projet.
Imaginer une vie nouvelle, fût-elle brève ou rêvée : épilogue de la catastrophe en forme de gloire.
Le théâtre est le lieu où se rencontrent les mondes de l’extérieur et de l’intérieur, celui de l’être jeté dans le monde, qui communique, et celui qui s’interroge et qui rêve.
Ce que nous attendons du théâtre c’est la révélation de cet autre qui gît au plus profond de nous, plus nous-même que nous et cependant inconnu. C’est cette inconnue qui veut sans cesse dépasser ses frontières, crever l’opacité de cette carapace qui nous sépare du monde.
Les deux premières minutes c’est un seuil. La difficulté de franchir le seuil.
Les costumes de Chéreau sont stylisés et suggestifs.
Séparer la parole du mouvement. Ne pas appuyer la parole et les gestes. Ne pas souligner pendant qu’on parle. Le geste arrive plutôt avant, pour libérer la parole. Le geste parle seul. Le geste est une manière à côté pour exprimer le sentiment.
Je ne suis pas un metteur en scène psychologique. Il me semble plus intéressant de travailler sur la réplique dans le sens où elle comprend les contradictions qui, au bout du compte, vont faire le personnage. Je ne demande jamais aucune logique au personnage. Je crois vraiment à la mosaïque de ses différents éclatements, de ces différents sens qui vont donner l’illusion du personnage. Je ne crois pas que l’on soit conditionné de façon unilatérale, on est aussi source d’éclatements. Si bien que ce travail sur la mosaïque peut donner à la fois de la réalité et l’illusion de la réalité.
Abandonnez-vous aux gestes. Il faut traverser tout l’ennui de ces situations, mettre un pantalon, fermer un blouson. Les gestes ont une belle matérialité.
L’auteur rend compte des conflits dans l’intime de l’être, conflit tramé de rêves diurnes et nocturnes, de fantasmes et de pulsions inconscientes. Il rend concret sur la scène ce continent invisible.
Peut-on imaginer une dramaturgie qui déchiffrerait le monde à la lumière de l’incontournable subjectivité ? Peut-on rêver d’un théâtre ou la psyché et le monde seraient vase communiquant ? Est-il possible que ce petit monde que chaque humain porte devienne le révélateur du grand monde ou nous nous débattons ?
Ibsen aurait tenté de mêler dans une même expression le dialogue intérieur et extérieur...tout ce qui s’y dit cache et découvre à la fois les sources d’une vie inconnue.
La psychanalyse nous ramène des conflits que nous vivons avec d’autres individus vers ceux que nous avions, sans le savoir, avec nous-mêmes.
Le vœu ardent de cette vision du théâtre consiste à reconnaître ces différences, à observer la réalité qui nous entoure, c’est-à-dire la réalité du comportement humain, même et surtout, dans son caractère contradictoire et à trouver les formes qui expriment cela sur un plateau.
Je pense souvent à un acteur en me disant : je veux l’emmener quelque part où il n’irait pas sans moi.
Le don du comédien consiste aussi et avant tout à savoir formuler des propositions de jeu variées et contradictoires pour une situation.
Le vrai moment de théâtre n’est pas à l’intérieur de l’individu mais entre un moi et l’autre...cela nécessite des comédiens entraînés dans la remise en question, qui maîtrisent la capacité d’agir à des niveaux variés, de percer la complexité des processus mentaux et, surtout, qui savent raconter la manière dont le comportement humain se transforme...c’est une tâche qui ressemble à celle d’un chercheur dans un laboratoire des comportements humains, et qui , avec deux comédiens sur un plateau, amène un infini de possibilités de comportement.
Dans la poésie, il existe un rapport extrêmement subtil entre le rythme, le ton, la vibration et l’énergie qui confère à chaque mot, au moment où il est prononcé, le sens, l’image, et en même temps, cette autre dimension extrêmement puissante qui vient du son, de la musique du verbe.
Un mot est comme un gant. Un objet qu’on peut admirer dans une vitrine ou un musée. La vie lui est donnée par la main qui le remplit. Il peut prendre alors toutes les formes.
Rares sont les renvois directs de répliques, rares les échanges de regard, et plus rares encore les contacts charnels...c’est là, dans ce noli me tangere entre deux mains qui se rapprochent sans s’atteindre, entre deux voix qui se frôlent sans se répondre, dans cet écart d’autant plus infranchissable qu’infinitésimal, que se concentre l’émotion.
Un mot peut être plus qu’un gant, c’est un aimant, posé sur un espace vide à l’intérieur, il peut quand il est dit, amener à la surface un matériau enfoui dans l’inconscient. Et, dans quelques moments rares et forts, il peut tirer avec lui le matériau que se partage l’humanité.
J’ai le sentiment avec les comédiens que l’acte essentiel qui devrait leur faire comprendre ce qu’est le personnage, c’est le fait que je leur ai confié le rôle à eux et pas à un autre, que l’identité du personnage je n’ai pas besoin de l’expliquer puisque c’est eux.
Shakespeare n’impose jamais sa vision du monde. Il ne se sert pas de ses personnages pour exposer ses pensées, ses idées. Il nous donne une multitude sans fin de points de vue laissant les questions ouvertes à la fois à l’humanité tout entière et à l’intelligence de chaque spectateur. Il s’efface lui-même.
Nous sommes des « moi » multiples qui tentons de nous adapter en jouant aux différentes situations auxquelles nous sommes confrontées. Nous nous mettons en représentation dans différentes situations et essayons souvent de résoudre les conflits de ces situations en prétendant être quelqu’un d’autre.
Ce qui m’intéresse chez Ibsen, c’est d’être en face d’un auteur qui montre comment les êtres humains avec leurs émotions, leurs sentiments, tentent de survivre, en gardant leur âme intacte, dans un monde totalement rationalisé et matérialiste ou seul le pouvoir de l’argent règne.
Très souvent dans les sociétés contemporaines on doit faire face à des problèmes physiques et mentaux. Des problèmes psychiques comme ne pas se sentir bien dans son corps, avoir des problèmes face au système, le burnout, la dépression...notre vision matérialiste du monde se répercute dans nos corps comme un syndrome.
Explorer les situations avec le texte plusieurs fois et chercher toutes les manières possibles de les montrer... épuiser les possibilités.
Dans l’italienne on ne s’occupe plus de soi, on s’intéresse à l’autre, on lui répond vraiment.
Lorsqu’on décide d’arrêter les répétitions ce n’est pas parce qu’on croit avoir atteint la perfection mais parce qu’on sent qu’on ne peut plus progresser.
Chacun est un mur pour l’autre. Il y a autant d’existences que de murs au monde, autant d’existences séparées, souffrant de la même grande solitude.
Au fond je fais preuve d’un intérêt sociologique. Nous jouons sans cesse des rôles sociaux, différents. Ce qu’il s’agit d’élucider, c’est la situation dans laquelle se trouve tel individu à tel moment et le masque social qu’il revêt.
Je m’intéresse à la relation entre les individus, la manière dont ils s’exploitent mutuellement, abusent les uns des autres, s’aiment, se désirent, se heurtent à leurs propres limites, la manière dont la haine se transforme en amour et l’amour en haine, dont la notion de profit s’immisce dans les relations, tout cela non sur le mode de la thèse ou de la surenchère hystérique mais dans le rendu des corps et l’exploration des affects.
Mon théâtre s’intéresse avant tout à l’être humain.
Il y a une théâtralité inhérente au langage.
Il y a très peu de metteur en scène qui s’intéressent à ce qu’est l’homme...non pas dans son essence mais dans son présent.
Rien qu’un mot sur une page et il y a le théâtre.
J’essaie de faire que les acteurs apprennent à dire des textes de telle façon que des images soient créées.
Le plus important ce ne sont pas les mots, le texte, mais les images contenues dans les blancs et le mouvement sous terrain que cela induit.
La force du langage est son incapacité à dire.
Comment par le langage suggérer l’indicible.
Le désordre est-il un ordre caché ? Faut-il encore avoir le chaos en soi pour donner naissance à une étoile dansante ?
Deux amants qui ne se sont jamais tus ensemble ne se connaissent pas.
Chacun de nous peut écrire, à condition d’aller à l’intérieur de soi, le plus profondément possible.
Une sorte de dépassement de l’écriture est inscrit dans l’écriture elle-même.
La lumière sombre libère en scène une matière impondérable.
Le fait de sur-articuler fait entendre le texte comme une langue différente.
Essayer de faire travailler l’acteur comme s’il était dans l’invention d’une langue nouvelle.
Les gens raisonnables m’ennuient. Ils restent dans les limites, les clôtures de la raison. Il n’y a pas d’invention, il n’y a pas de recherche.
La folie et la mort font déchanter la raison et la vie. Elles combattent l’orgueilleuse vanité qui est la leur.
Métaphysique : ce qui dépasse la physique, la matière, le matérialisme.
La mort est le meilleur signe de l’absolu, de l’inconnu absolu...il ne faut pas apaiser la peur de la mort. La vie sans la mort n’a aucun sens.
L’utopie, c’est une vraie rencontre sur scène des personnages avec les acteurs, où à partir du rythme de la scène, de la situation, de la joie d’être sur scène, naît un oubli d’être sur scène.
Je ne sais pas dans qui je vis. Je sais que ce n’est pas clair. C’est déjà un pas.
Le metteur en scène a besoin d’un texte qui soit plus fort que lui. De même il a besoin d’acteurs qui lui résistent et qui l’aident à aller plus avant.
Je n’aime pas la déclamation. Je n’aime pas les fausses mélodies qui se veulent poétiques. Je n’aime pas les faux intimismes. Même en ne parlant pas très fort on peut parler dans le faux ton. En fait, c’est simple, je n’aime rien de ce que les spectateurs « normaux » aiment : la fausse théâtralité, la fausse vie sur scène, les acteurs qui crient. Il y a un grand malentendu : certains acteurs confondent l’être sur scène avec un état d’hystérie ou de catatonie, d’émotion forcé, de faux dramatisme.
Tout discours dramatique et réaliste est terriblement suspect parce que c’est du théâtre fait « simplement » : il y a un dialogue, des personnages, un conflit, une situation scénique. Je crois qu’il s’agit d’une approche du théâtre qui est humble, parce qu’elle ne sait pas à l’avance qu’elle sera sa manifestation esthétique.
Le théâtre doit de temps en temps supporter le réalisme en racontant des histoires sur la cruauté du monde et sur les victimes
Celui qui fait la connexion entre le théâtre et le monde, c’est l’auteur.
Le réalisme n’est pas la simple représentation du monde tel qu’on le voit. C’est un regard sur le monde, une attitude qui appelle aux changements, née d’une douleur et d’une blessure qui devient une impulsion pour écrire et qui veut prendre sa vengeance sur la cécité et la stupidité du monde.
Les auteurs refusent toute sorte d’explication socio psychologique, toute sorte de motivation, toute sorte de guidage socio pédagogique pour surmonter la souffrance, il s’agit seulement d’un enchaînement d’actions qui est à des années lumières en avance sur tous les clichés de la psychologie humaine.
(Aux comédiens) réglez le geste sur le mot, et le mot sur le geste, en vous gardant surtout de dépasser la modération de la nature. Car tout ce qui est forcé s’écarte des propos du jeu théâtral, dont le but, dès l’origine et aujourd’hui, était et demeure de tendre pour ainsi dire un miroir à la nature, de montrer à la vertu ses traits, au ridicule son image, et à notre époque et au corps de notre temps sa forme et son effigie. Hamlet
Le théâtre réaliste devrait s’exercer surtout à représenter la réalité du « vivre ensemble » humain.
La vision d’un théâtre réaliste part du constat que le comportement des gens les uns envers les autres se transforme en relation aux mouvements sociaux qui les entourent.
L’équipe élabore et construit par le travail un regard commun sur l’univers de la pièce, regard qui découle, de manière causale, des personnalités qui y participent et de leurs expériences.
Le plateau a ses lois propres. Ce que l’on a observé dans la réalité doit-être épaissi, théâtralité et exagéré, de manière à rendre perceptible ce regard sur l’expérience de la réalité et à communiquer notre étonnement troublant devant la façon contradictoire dont peut évoluer le comportement humain d’un moment à l’autre.
La vérité c’est que nous les êtres humains sommes capable de tout, du meilleur et du pire.
Ibsen fait de la première moitié de la pièce une exposition pour préparer le drame qui ensuite se déroule dans une seule et grande respiration d’une heure ou une heure et demie...et ce qui arrive fréquemment dans la première partie de la pièce, c’est qu’on joue déjà le drame.
Ibsen laisse souvent raconter les années passées aux protagonistes. Le personnage confronte le protagoniste avec des choses du passé que ce dernier aurait aimé laisser aux oubliettes... Ibsen confronte les personnages avec des fantômes, des revenants...ils sont confrontés à leurs idéaux d’avant...c’est comme s’ils rencontraient leur subconscient, leurs émotions...cela peut être douloureux car cela remet en question la vie entière.
Il faut qu’à tout instant quelque chose se passe sur scène, chaque séquence doit avoir un sommet, un moment qui tient le spectateur hors d’haleine.
4 jours à table pour parler, écouter les uns les autres, préparer l’espace avec les techniciens. Puis le texte en main, les acteurs joueraient la pièce sans s’arrêter.
Les hommes de théâtre artistes ou techniciens doivent connaître tout ce qui concerne l’administration et les incidences pratiques d’une production, sinon ils restent des amateurs.
Il y a des êtres humains qui sont les incarnations du mal et il faut oser montrer cela au théâtre.
Je pense que les artistes devraient aider le public à se construire plus humain. Lui pétrir l’âme. Oui, je pense qu’on sert à ça. On fait cela.
Nous devons être les voyageurs qui emmenons le public en voyage et en exploration intérieure, à l’intérieur des vies, de nos ressemblances, de nos différences...
La condition du merveilleux, c’est le concret.
Le théâtre est l’art d’organiser le scandale : il doit révéler le scandaleux et l’obscène que le monde s’efforce de cacher, les inégalités, les injustices, les brutalités, et tout notre système ... un spectacle doit déranger. Si tout allait bien, je ne vois pas pourquoi je ferai du théâtre.
Meyerhold disait qu’on devrait pouvoir entrer dans un théâtre comme dans un palais des merveilles.
Les comédiens mettent leurs masques tandis que le public enlève le sien, c’est- à-dire ses tensions, il se prépare à ce moment qui est une utopie.
Il faut toujours savoir qu’il y a quelqu’un dans la salle pour qui c’est peut-être la dernière fois qu’on joue et quelqu’un d’autre pour qui c’est peut-être la première fois.
Les spectateurs reprennent parfois pour de longs mois espoir dans l’humanité, à travers nos capacités d’hospitalité, de beauté visuelle, d’art, mais aussi de tendresse.
La forme, c’est le fond qui remonte à la surface.
La marionnette, c’est du concentré de théâtre. C’est du bouillon-cube de théâtre. C’est le théâtre absolument nucléaire. La marionnette imite l’homme et l’auteur imite la marionnette.
Pour écrire, il faut d’abord prendre la règle, la plume et se contraindre.
Le jeu, en s’appuyant sur l’impulsion première qui vient de l’enfance, peut devenir une voie de réparation et de création.
Comme metteur en scène on n’invente pas grand-chose, on construit les uns sur les autres.
Ce qui m’importe vis-à-vis du spectateur, c’est d’arriver à faire un geste d’ouverture et d’offrande vers lui, sans chercher à le séduire ou le convaincre.
Au théâtre, on ne s’accorde pas tout seul : on s’accorde avec les autres, comme des instruments dans une fosse d’orchestre.
La mort et la représentation du fantôme traversent le théâtre occidental et oriental.
M’approprier ces présences ambigües (marionnettes, pantins, projections) c’est une façon de faire advenir une sorte de doute immanent sur le plateau, de faire apparaître l’invisible, de faire entendre le mystère de la vie.
Rien n’existe vraiment, tout devient, rien ne se maintient, rien ne demeure, tout apparaît.
Ce que je veux, c’est être étonné par ce qu’on fait, avoir une sensation d’étonnement quand on l’a fait, par rapport au choix des matériaux et dans le résultat. Le jour où je ne serai plus étonné., je ne serai plus vraiment vivant.
La caractéristique absolue qui fait « le poète » est la capacité de voir des relations entre les choses là où ces relations ne sont pas évidentes.
Le théâtre est ce qui est caché derrière la surface, dans la complexité des relations sociales et derrière ça, le sens ultime, existentiel de cette activité qu’on appelle la vie.
La poésie n’est pas jolie, mais compacte, un langage chargé d’intensité.
Chez Shakespeare chaque vers est un atome qui si on sait le faire éclater libère une énergie infinie.
L’optimisme face à une réalité est un mensonge, le pessimisme, une complaisance. La troisième attitude est très difficile, parce qu’elle suppose de s’ouvrir à ce qui est intolérable dans la condition humaine et, au contraire, à ce qu’on y trouve de rayonnant, et tout ça simultanément. Cela peut nous pousser à nous sentir plus vivant que plus suicidaires.
En une seule réplique, il faut donner à la fois le sens du récit et le caractère humain du personnage tout en choisissant le mot juste, en trouvant les mots qui font ressentir des résonnances qui rassemblent tous les niveaux d’association qu’il portait en lui.
Dans chacune des pièces de Shakespeare, la grossièreté, le répugnant, le puant la misère de la vie ordinaire s’entrelacent avec le beau, le pire, le sublime. Cela se voit aussi bien dans les personnages qu’il crée que dans les mots qu’il écrit. Un poète absorbe tout ce qu’il éprouve, il le filtre, il relie entre elles des impressions qui peuvent paraître distinctes et même contradictoires.
C’est une merveille quand la pensée et le sentiment sont parfaitement mêlés, de voir que la phrase, le son, les gestes les plus inhabituels, deviennent parfaitement naturels.
Voir, c’est accepter que la souffrance transcende l’aveuglement.
La vie d’une pièce commence et finit quand elle se joue.
Revenez quand vous aurez de votre idée une forme forte.
Nous sommes au-dedans du chaos. Nous ne pouvons pas le nier, et le chaos qui nous entoure est le même à l’intérieur de nous. Le chaos n’est pas le désastre absolu. Le chaos est quelque chose de plus qu’une totale catastrophe. Le chaos et la catastrophe ce n’est pas la même chose.
Le seul discours productif est le discours affirmatif.
Le comédien de génie est u monstre de contradictions qui heureusement n’ont jamais été résolues.
Tu voudrais jouer avec moi ? Comme si tu connaissais mes mesures. ! Tu arracherais le cœur de mon mystère. Hamlet
L’auteur est comme allongé sur le sol du grenier et écoute le discours réel, l’unique discours réel qui monte vers lui à travers une fissure dans le plancher.
Notre chemin à l’intérieur du personnage passe par la compréhension d’une vérité : ce sont les mots qu’il utilise qui nous indiquent qui il est.
On peut dans la texture même de l’écriture du vers de Shakespeare voir que la fin d’une phrase est comme un suspend en musique qui mène à quoi ? Suspense.
La décision de monter une pièce ne peut partir que de la matière humaine, de la conviction que l’on a enfin trouvée les acteurs capables de convertir la matière écrite du texte en matière vivante sur scène.
Est-ce qu’on écoute l’œuvre comme une expression de la vie humaine, ou est-ce qu’on l’écoute, en même temps, en pensant à la littérature ? Le grand respect consiste à faire en sorte que la pièce existe et que l’auteur s’efface.
« Les mots rayonnants », mots qui émergent dans l’architecture de la phrase et produisent une véritable explosion de sens, sens qui se dispersent ensuite dans toutes les directions.
Nous devons la quasi-totalité de nos découvertes à nos violences, à l’exacerbation de notre déséquilibre.
L’idée du bonheur est passive, statique, l’idée du malheur est ardente, dynamique.
La finalité de la catharsis est l’amélioration et l’apaisement du cœur.
Rituel et théâtre ont pour but d’étendre le champ de conscience, appréhender avec d’avantage de perspicacité la nature de l’existence et aider l’individu à reconstituer ses forces pour affronter le monde.
Le jeu d’acteur se réduit souvent à cacher ce qu’on joue.
Haeneke dirige exclusivement à l’oreille.
Il y a une façon, je crois, de lire « vraiment », d’accomplir cet acte, lire, qui est un acte d’ouverture du texte, par quoi on se déprend autant que possible du « majoritaire, du déjà su.
Lorsqu’on surveille le temps, il passe très lentement.
Le spectateur assiste au spectacle comme s’il était assis au bord de l’océan en train de regarder la plage, les gens qui traversent, qui passent, et la force géante des flots.
Au temps abstrait, absolu, homogène et mécanique tel que le concevait Newton, succède chez Wilson un temps instable, irrégulier, celui-là même qu’a mis à nu Einstein et que le metteur en scène peut jouer à dérégler, à façonner, à façonner, ou à absenter selon ses besoins.
Ce qui m’intéresse c’est qu’un mouvement soit intérieur, plus on est expressif, moins on exprime.
Les meilleurs acteurs sont ceux qui jouent pour eux. Pour eux, une fois occulté le monde extérieur. Pour eux sans complaisance ni projection de voix ou de sentiment, sans anticipation ni pleine extériorisation du geste, sans aller vers le public mais en le laissant venir à eux par leur qualité de présence et leur degré de tension. Pour eux aussi dans un style de jeu indifférent aux autres, chacun évoluant dans son espace et suivant sa propre ligne de son et de mouvement.
Il y a certains vers, parfois des poèmes entiers, moi-même je ne sais pas ce qu’ils veulent dire. Ce que je ne sais pas me retient encore.
Un processus dramatique doit-être construit comme un numéro de trapèze au cirque il ne doit-être composé que de moments où un des artistes lâche prise et se jette dans le vide pour rejoindre l’autre.
Celui qui n’a jamais perdu la tête c’est qu’il n’avait pas de tête à perdre.
Je trouve que « le tout permis » qu’il soit ironique ou cynique, auquel la postmodernité a sans cesse recours est le fléau absolu de notre époque. Car cela ne veut pas dire seulement que tout est possible, mais aussi que tout est à la fois vrai et faux.
Que des questions liées à la culpabilité, à la responsabilité et à la manière de gouverner une société aient disparu du débat public, et par la même des théâtres, je trouve cela dévastateur...on ne peut pas faire d’ironie face à quelqu’un qui a 45 ans, se retrouve chômeur et en situation précaire. On ne fait pas disparaître ce problème en faisant sourire.
Nous avons peur du risque émotionnel qu’il faut prendre en amour. Parceque l’autre, le souci de l’autre, nous ne savons plus ce que c’est, il est devenu trop difficile de vivre et de se confronter à l’altérité, et c’est là qu’il faut chercher. Je dis cela en passant, l’une des raisons de la crise de l’art dramatique c’est le manque d’empathie, sans oublier toutes les autres choses que la société a perdu : la mort qui n’a plus sa place, la transgression, la désinhibition.
Ça ne parle que d’argent (à propos d’Ibsen)
Les personnages qui appartiennent à la classe moyenne ou viennent d’y accéder n’ont qu’une obsession, la peur de perdre leur statut.
Je ne peux travailler que de manière réaliste, en essayant de mettre en scène ce que je peux observer aujourd’hui dans mon entourage, chez moi-même, chez mes proches.
C’est volontiers que je dis, j’explique, j’émancipe.
Un théâtre émancipateur explorant nos propres dispositions à la corruption, au mensonge, à l’hypocrisie, et inversement nos qualités, un théâtre émancipateur de type microsociologique qui dissèque ce qui se passe dans les relations familiales, les relations de couple, dans qu’on en soit forcément conscient.
Je rêve d’un théâtre sans emphase, ni arrogance, sans frénésie spectaculaire, d’un théâtre pourrait-on dire convivial et discret dans la lumière toujours un peu tremblée de la première fois.
Le conflit dramatique qui se déroulait dans un espace impersonnel prend pour siège la vie intérieure de chaque personnage créé par l’auteur. Il y a un glissement du drame vers plus de subjectivité, il y a une insularisation du drame dans la psyché du personnage.
Le théâtre intime ouvre l’espace, dans la petitesse du théâtre, pour une rencontre régénérante du monde et du moi, et de soi avec l’autre.
Le théâtre de Strindberg est une synthèse entre Zola et Maeterlinck.
Microcosme et macrocosme, théâtre du moi et théâtre du monde avancent bord à bord.
Le drame d’Ibsen se présente comme l’épilogue d’un roman non écrit. Les personnages ont déjà incubé comme une maladie ce roman familial qui couvre leur existence et remonte juste avant la naissance. Il ne leur reste plus qu’à jouer le climax, le dénouement, la catastrophe. Tout est déjà là et n’est que porté au jour. Émerge un sentiment diffus de culpabilité. Le personnage Ibsénien est d’entrée miné par le sentiment d’une faute qu’il n’a peut-être pas commise.
Notre âme est souvent à nos yeux une puissance très folle.
Ibsen amalgame dialogue extérieur et soliloque intime, réalisme et onirisme.
Dramaturgie de la subjectivité dont le ressort est le travail du passé dans l’intériorité.
Un lieu hanté ou les morts pèsent sur les vivants et déterminent leur existence, telle est la maison chez Ibsen.
Strindberg invente une dramaturgie subjective, il impose sa propre présence au milieu des personnages, les personnages ne sont que des projections ou des dédoublements de lui-même.
Strindberg met au point une liaison instantané entre les êtres que séparent les plus grandes distances dans l’espace et le temps. Dramaturgie des vastes étendues de l’intime.
Dans le théâtre de lumières, l’espace intérieur est menacé par un espace extérieur fauteur de troubles
Transformer en poème ou en image tout ce qui me réjouit ou me fait souffrir, ou me préoccupe, en débattre avec moi-même, à la fois pour corriger ma conception de la réalité et pour faire l’ordre et le calme en moi.
Lorsqu’Ulysse revient chez lui dans son dernier voyage il n’est plus personne. Lorsqu’on lui demande ce qu’il veut entendre chanter il demande « La prise de Troyes par Ulysse ». Il pleure et à partir de ce moment-là réinvente peu à peu son identité.
John Gabriel Borkman : Les critiques sont des rats qui vivent au dépend des artistes. Non, des souris. Ce sont de minuscules êtres. Ils nous doivent tout comme les directeurs de théâtre et les inspecteurs de l’état
Écrire, c’est appeler sur soi le jugement dernier.
Le propre de l’élaboration artistique est de conférer de l’importance à une chose.
Le théâtre brechtien est plein de détails.
C’est par le petit que Brecht s’élargit.
Distance ne veut nullement dire jouer moins, bien au contraire, distancer c’est jouer simplement, ici, la vraisemblance du jeu tire son origine du sens objectif de la pièce, et non, comme dans la dramaturgie naturelle d’une vérité intérieur de l’acteur.
Presque toutes les pièces de Brecht son situées dans l’histoire.
Les créations des artistes ont le pouvoir de soulager les tensions psychologiques d’une majorité d’individus, y compris celles de l’auteur lui-même. Ce n’est pas une activité agréable mais un véritable besoin.
Dans ses costumes, Vilar articule le réel et la théâtralité.
On fait des choses mal mais quand même on les fait.
Savoir tout et le vivre quand même. Savoir et tout oublier.
Ne pas marier le texte et le personnage.
Parler pour survivre.
Un signe : pour cacher une douleur plus grande qu’on ne peut pas exprimer.
Il faut repartir du même et le ressasser, refaire incessamment, sans se lasser, jusqu’à faire jaillir l’inattendu, le construire et pouvoir le représenter. Avoir la force de piétiner sans fatigue, de ruminer sans amertume, et de ne jamais baisser les bras. Et de travailler ses propres faiblesses, d’aller jusqu’au bout pour construire, même sur le vide de soi-même. Mais sur un vide vivant. Répéter sans rabâcher, refaire sans faire à nouveau. S’obstiner sans s’entêter, avec souplesse, jamais en force. Le travail en force devient très vite sec, douloureux. Et plus la volonté s’obstine, plus le travail s’assèche., jusqu’à casser, ou se déliter sans qu’on y prenne garde.
En répétition, l’épuisement du désir c’est la mort du théâtre.
L’acteur n’est pas propriétaire de son rôle juste locataire.
Je veux être un homme en changement, en possibilité de changement et qui peut abandonner cette possibilité de changements à d’autres personnes et provoquer des questions à ceux qui sont en face.
Ce qui différencie les metteurs en scène d’aujourd’hui de ceux d’il y a quelques années, c’est qu’ils essaient de se rapprocher du vivant.
Ce que nous cherchons à donner ce n’est pas du sens mais du vivant.
Notre recherche sur la langue exige de l’acteur une ouverture et une disponibilité totales avec la matière textuelle, sans jamais passer par la psychologie du personnage.
Le texte – la langue et non le sens – est l’objet principal de notre recherche, qui fait naître une histoire physique entre nous.
On répugne dans certaines circonstances à se laisser conduire, mais si on se laisse mener, c’est qu’on est capable d’inverser le courant de notre dynamique personnelle et d’accepter l’autre.
Avoir confiance dans le regard de l’autre, avoir confiance en soi-même, ne pas être trop impatient.
Si l’on veut avancer dans une répétition, il ne faut plus se voir en train de se faire. Il faut réduire la distance de soi à l’acte.
La répétition est le temps enchanté du droit à l’erreur, où il faut se tromper, créer des contraintes, des handicaps, pour mieux les surmonter.
« La plus-value » est la différence entre l’intention de l’artiste et sa réalisation, entre ce qu’il avait projeté de réaliser et ce qu’il a réalisé.
Respect de l’œuvre, écoute du partenaire, confiance dans l’exigence du public, simplicité des moyens, sciences des passages et des transitions. « Ce ne sont pas des choses que je peins ; c’est ce qui est entre les choses ».
La psychologie occupe une place autour de la table. Sur le plateau, il n’en est plus que très exceptionnellement question.
La lumière vient en dernier. Si elle venait en premier elle surdéterminerait trop le jeu et le point de vue. À la fin elle accompagne et souligne.
Il faut amener au public le spectacle pas totalement prêt. Il faut arriver devant le spectateur avec une chance au moins de chevaucher le tigre. L’idée d’arriver complètement prêt c’est être dans la mort.
Le problème n’est pas de faire jouer l’acteur, mais de l’empêcher de ne pas jouer.
Le débat théâtral c’est l’analyse concrète d’une situation concrète.
Percevoir le concret d’une situation demande une attitude d’ouverture, l’acteur devra laisser la situation venir à lui et l’expérimenter sans à priori. Le concret d’une situation agit sur l’homme dans sa totalité. C’est une réalité brute et non une idée du réel.
Le jeu ne naît pas de la mélodie des mots mais résulte uniquement du concret de la situation.
Le filage et les italiennes pour les acteurs sont la possibilité de découvrir leur trajet dans la pièce.
Tout au long des répétition, le comédien doit risquer sans relâche et rester ouvert aux propositions, il ne doit rien figer. Il doit explorer le plus grand nombre de situations que le texte induit. Rien n’est définitif. Ce qui semblait juste un jour sera abandonné le lendemain.
L’acteur ne doit pas céder à la tentation de jouer une psychologie du personnage.
Le concret, c’est l’homme dans le monde.
Rien n’est d’avance à jouer et l’acteur doit prendre le temps et la liberté de sonder ce que traverse le « personnage ».
C’est plus efficace si ce n’est pas donné à fond.
Il y a une séparation entre les yeux et la bouche, les yeux expriment l’intériorité et la bouche parle.
Les silences sur le plateau, c’est le comédien qui les crée, pas le personnage.
L’acteur doit savoir sur le personnage moins que le public ... un spectacle trop interprété est terrible.
Le théâtre est l’expression de la réalité scénique métamorphosée.
Le théâtre comme espace d’apaisement et de libération des contraintes.
La seule chose que je cherche c’est de communiquer aux autres le plaisir du théâtre.
Une soirée de théâtre est appelée à produire des chocs, des sensations, des contradictions, non pas à élaborer des situations traduisibles en langage idéologique.
Dès qu’il est trop explicite le spectacle cesse d’être artistique.
Je fais du théâtre pour ressentir le temps pour le remplir et parcequ’il n’y en aura jamais assez.
Maintenant je préfère travailler sur ce qui m’échappe...c’est ça la modernité.
Qu’y-a-t-il à déchiffrer là-dedans ? Quel matériau se libère-là, qui commence peut-être par dépasser les intentions de l’auteur ou de la mise en scène, voir même toute intention imaginable ? Le théâtre est une esquisse. Il est pareil à un dessin très fin qui bouge.
Il faut suggérer, chercher à préserver la rapidité de l’esquisse.
Dégager des panoramas sur l’intérieur des êtres, des vues plongeantes sur leurs passions agitées.
Quelque chose de fort, d’extrêmement concentré, sans décor, sans costume, de la présence humaine.
J’ai connu des metteurs en scène qui n’effacent pas. Ils avancent lentement. Bondy comme Vitez construit et en même temps efface pour mettre l’acteur dans un état de non-installation. Nada Strancar dit : Bondy propose et efface pour produire un effet d’accumulation. L’acteur prend conscience que toute solution est hypothétique.
Abandonne-toi aux gestes. Ne donne pas de sens. Tu n’es rien d’autre qu’une bouche. Ce n’est pas toi qui mastique, c’est le pain qui détermine ce que fait ta bouche.
Joue à la façon des moustiques : l’effroi que suscite le centre de la flamme – et ensuite droit au but. Oui, comme les moustiques dans la flamme.
On ne sait pas ce qu’on fait quand on répète, on ne sait pas du tout ce qu’on fait. (C’est d’ailleurs pour cela que quelque fois c’est bien). Comme quand on fait un enfant, on ne sait pas ce qu’on fait. Et donc, comment être responsable à la fin et être jugé sur quelque chose qui nous dépasse complètement ?
Distribuer est un acte d’amour, ce n’est pas rationnel, c’est s’entourer des gens qu’on aime, qu’on respecte, qu’on admire.
Avant tout il faut lire, relire, rêver, dormir, se balader, parler au besoin, mais tout vient de l’écriture.
La première répétition consiste à écouter le texte pour la première fois à travers les acteurs, et à travers leurs voix ; et eux s’écoutent mutuellement. Ce qu’on découvre là autour de la table dans le contact avec les gens, c’est un trésor qu’il faut faire attention de ne pas perdre quand on se met à bouger sur le plateau. Il faut d’abord écouter et s’écouter entre nous. Il faut y aller très doucement. Il faut être disponible à toutes les sensibilités qui se manifestent à partir de l’écriture, de l’espace, et aussi à partir des êtres.
Fais ce que tu as à faire. Fais car une chose n’est ni bonne ni mauvaise tant qu’elle n’est pas faite, donc fais.
L’art se tient sur les frontières obscures qui séparent la réalité de la non réalité.
Comme un radeau à la dérive au milieu du plateau, le moindre déplacement peut rompre l’équilibre entre les protagonistes. Un simple mouvement devient sensible et en soi conflictuel, car il impose aux autres une réaction afin d’équilibrer ou d’accepter le rapport de force. Toute variation d’humeur, tout modification de l’état intérieur se traduit alors par une manifestation physique, qui s’écrit, se dessine, ou alors se ponctue.
Chercher le petit pour trouver le grand.
C’est dans l’écart entre ce qu’on a rêvé et ce qui est que gît la poésie du théâtre.
C’est moi qui décide que tel acte sera à reproduire ou qui choisis entre un geste et un autre, sinon je ne serais pas metteur en scène.
Je demande aux acteurs d’être là avec le maximum de la disponibilité ludique. Je travaille avec leur envie de jouer, seulement j’utilise tout l’involontaire de ce jeu, plus d’ailleurs l’involontaire du jeu que l’involontaire de l’être. Le jeu m’intéresse plus que l’être à vrai dire.
Le metteur en scène interprète les mouvements ou les accents des acteurs, il découvre ce qu’ils cachent en eux, ce qu’ils ont envie de dire. Il leur renvoie l’image, non de ce qu’ils ont cru faire mais de ce qu’ils ont fait en vérité. Le metteur en scène est un acteur qui s’extirpe du chœur.
Diriger un acteur, c’est l’observer et lui restituer l’image qu’il produit de lui- même, c’est le rendre conscient de l’image qu’il construit. Il m’est arrivé de travailler avec des acteurs ne sachant pas que la répétition avait commencé. Je les observe et en les regardant vivre je transforme en fiction ce qui est naturel.
Le travail du metteur en scène c’est d’oser dire ce qu’il ressent, tout de suite. Savoir qu’il faut oser le faire.
Le théâtre n’est pas le lieu de la production des idéologies mais de la vérité.
Les choses géniales peuvent arriver au moment où vous ne savez plus quoi faire.
La répétition est le vrai lieu de preuves. Ou d’épreuves.
Mon devoir est de faire en sorte que celui qui voit mes films ressente le besoin d’aimer, de donner son amour, et qu’il perçoive l’appel de la beauté.
Ce que je fais : je regarde. Je n’ai jamais fait que regarder les gens. Je n’ai fait que voir, ou essayer de voir les rapports humains, afin d’en parler. Voilà ce qui m’intéresse. Je ne connais d’ailleurs rien de plus important.
Que quelqu’un puisse voir de telle manière et quelqu’un d’autre d’une manière toute différente, c’est cela que je trouve bien.
Les pièces de Pina Bausch parlent du désir de relation avec des choses vraies, du désir de prendre des vrais risques et de faire de vraies expériences – sans peur de se mouiller.
La sincérité, c’est le fait de s’admettre soi-même. Avec ses forces et ses faiblesses, ses désirs et ses peurs, ses expériences, sensations, souvenirs, avec son histoire personnelle.
Plus un geste mobilise une intensité, plus ses résonnances sont multiples et profondes, plus nous percevons sa puissance, autrement dit ses possibles déploiements dans l’instant.
Alors que Stanislavski dit : « Tu vois le tigre, tu as peur, tu cours », Meyerhold inverse la proposition : « Tu vois le tigre, tu cours, tu as peur ». C’est une grande phrase pour le théâtre.